Comme l’a défini de
manière limpide Germaine Guex (1973), l’abandonnique est celui qui envisage
tout et tous (souvent à commencer par lui-même) sous le registre de l’abandon
vécu ou redouté. Il s’agit d’un problème affectif majeur, à connotation
agressive et masochiste. Nous sommes confrontés à une avidité affective dont le
patient n’a guère conscience, et qui le mène à la dévoration de l’autre :
cet autre, c’est le thérapeute, l’éducateur, le parent nourricier, le
partenaire de vie, c’est-à-dire, nous tous qui sommes interpellés par son
angoisse, par sa crainte d’abandon, par son comportement régressif, par son
oscillation permanente entre une attitude de toute puissance et l’expression
d’un grand désarroi, et par son incapacité à s’attacher réellement. Michel
Lemay (1979) a fort bien souligné la difficulté d’être cet « autre »
face à l’abandonnique. Le problème de l'abandonnique est que s'attacher
signifie pouvoir perdre, donc ajouter une brique à l'édifice abandonnique. Il
s'agira dès lors d'abandonner avant d'être abandonné, de "mettre à
l'épreuve pour faire la preuve" (G.Guex), en développant des exigences
sans limites. Germaine Guex indique clairement que "l'abandonnique,
par définition, ne peut aimer de façon oblative : il tyrannise, exige,
revendique sans cesse, le compte ouvert de son enfance ne se bouclant jamais.
le bilan se clôt invariablement par un dû. "Quant à l'angoisse
omniprésente, c'est l'angoisse primaire par excellence, lié à l'incapacité de
l'enfant à satisfaire ses propres besoins, et de se défendre contre les menaces
du monde extérieur. Elle est immédiate, et constitue un débordement d'émotions
difficiles à endiguer. "Sous le coup d'une menace de frustration,
l'abandonnique régresse immédiatement au stade de l'impuissance primaire, et
son Moi, envahi par l'émotion, ressent le malheur comme inévitable et déjà
consommé." (G.Guex)
Le monde intra-psychique
du tout petit enfant n'a pas été vraiment exploré par Freud. Il n'en a fait que
des extrapolations à partir d'adultes, de façon très incomplète et souvent
erronée. C'est après lui, grâce à Mélanie Klein et surtout à Winnicott,
pédiatre et psychanalyste, que l'on est arrivé à une certaine compréhension du
développement psychique de l'enfant. Winnicott a étudié les besoins changeants
de l'enfant dont la dépendance initiale doit se transformer en indépendance, et
il a essayé de comprendre quels étaient les facteurs qui entravaient
l'autonomisation ou mieux l'individuation du petit enfant. Il montre que le
processus d'évolution devrait conduire tout naturellement vers l'indépendance
et l'aventure. Tout ce qui contrarie ce processus sera à l'origine de troubles
psychiques plus ou moins graves, allant des troubles caractériels et
névrotiques à la psychose, donc à différentes formes de dépendance. Winnicott a
montré que ces troubles et ces différentes formes de dépendance ultérieures
chez l'adolescent et chez l'adulte résultaient aussi bien de carences
infantiles dues à l'absence, l'insuffisance de la mère, le manque d'amour et de
sécurité, qu'au trop, ou trop-plein, c'est-à-dire à la surprotection, à
l'étouffement de l'enfant par une mère qui, à cause de ses propres besoins, ne
peut pas se séparer de son enfant. La mère absente d'un côté, le vide; la mère
abusive de l'autre côté, l'étouffement.
Si l'on a tant de peine
à devenir autonome, recherchant toujours une dépendance, c'est aussi que l'on
n'a pas vécu de façon normale la problématique de la séparation dans son
évolution de petit enfant. On ne peut renoncer au sein, ou couper
symboliquement le cordon ombilical de la mère bonne et nourricière,
c'est-à-dire s'en séparer qu'en intériorisant son image et son amour. Ce qui
donne une force et une assurance intérieure qui permettront par la suite
d'accepter les manques, les frustrations. Si cette problématique n'est pas
résolue, les circonstances de la vie rappelleront ultérieurement les situations
traumatiques anciennes de séparation. Ainsi, les pertes d'amour, de protection,
les deuils, les changements de situation sociale ou professionnelle, les
désapprobations par une personne chère, la solitude, le rejet, toutes ces
situations de la vie peuvent être éprouvées comme des pertes graves,
irréparables, comme un abandon. J'en arrive ainsi à ce cas particulier de la
dépendance qu'est l'abandonnisme, cas particulier peut-être mais très
impressionnant de par ses manifestations théâtrales, dramatiques, et souvent si
paradoxales qu'il est difficile de les comprendre.
Sources : le syndrome
d'abandon, Germaine Guex, 1973, PUF.
La mère suffisamment
bonne, Donald W. Winnicott.
Jules.
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